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#franzfanon

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Soirée phénoménologie queer !

"If the world is made white, then the body at home is one that can inhabit whiteness" (Sara Ahmed)

Commençons avec cet extrait très phénoménologique de Franz Fanon :

« Et puis il nous fut donné d’affronter le regard blanc. Une lourdeur inaccoutumée nous oppressa. Le véritable monde nous disputait notre part. Dans le monde blanc, l’homme de couleur rencontre des difficultés dans l’élaboration de son schéma corporel. La connaissance du corps est une activité uniquement négatrice. C’est une connaissance en troisième personne. Tout autour du corps règne une atmosphère d’incertitude certaine. Je sais que si je veux fumer, il me faudra étendre le bras droit et saisir le paquet de cigarettes qui se trouve à l’autre bout de la table. Les allumettes, elles, sont dans le tiroir de gauche, il faudra que je me recule légèrement. Et tous ces gestes, je les fais non par habitude, mais par une connaissance implicite. Lente construction de mon moi en tant que corps au sein d’un monde spatial et temporel, tel semble être le schéma. Il ne s’impose pas à moi, c’est plutôt une structuration définitive du moi et du monde – définitive, car il s’installe entre mon corps et le monde une dialectique effective. »

Franz Fanon, Peau Noire, Masques Blancs, ch.5 : « l’expérience vécue du noir »

J’avais déjà évoqué ce qui constitue dans l’œuvre phénoménologique de Sara Ahmed une de ses thèses les plus stimulantes et les plus fécondes – une sorte de méthode qu’elle applique dans la plupart de ses investigations (plus tard sur le bonheur, la volonté, l’usage, le racisme, etc.) : la manière dont les relations d’objet (au sens kleinien : corps humains, animaux, objets divers et variés) sont affectées par des histoires, des récits, des images, dont nous héritons, qui « collent à la peau » (ou à la surface des peaux, des matérialités), et structurent ces relations. C’est une thèse qui s’inscrit dans la lignée de Husserl ou Merleau-Ponty, mais aussi la dépasse, en l’historicisant si l’on peut dire, mais aussi en multipliant les points de vue (en brisant le point de vue hégémonique du « mâle blanc d’âge mûr » philosophant à sa table de travail). Elle explore ainsi ce qu’elle appelle une queer phenomenology, une phénoménologie queer, qui porte sur les relations à la fois étranges et familières, ou mieux encore, étrangement familières, nourries d’affects, d’émotions, et de pensées complexes.

Et la source à laquelle elle fait souvent référence, quand elle dévoile cette structuration « occultée » des relations, c’est Franz Fanon, lui-même très intéressé par la phénoménologie.

En présentant le concept de « racialisation », j’avais déjà largement puisé dans le livre que Sara Ahmed a publié sous le titre : The Cultural Politics of Emotion (2004, réédition 2014), et proposé un autre texte tiré de Peau Noire, Masques Blancs de Franz Fanon (ainsi qu’un extrait d’Audre Lorde).

Je traduis ici le début du chapitre 3 (« The Orient and Other Others ») de son étude suivante, Queer Phenomenology Orientations, Objects, Others, Duke University Press, 2006.

(Je reviendrais sur cette expression dont il est difficile de rendre en français la saveur, « the other others » (qu’elle élabore dans ce livre à partir d’Edward Saïd notamment).

À l’époque où le suprématisme blanc et les politiques racialisantes de manière globale, s’étalent désormais sans aucun scrupule partout dans le monde, deviennent mainstream – comme si, l’idéologie raciale, qui n’a au fond jamais cessé de structurer les relations nécropolitiques du capitalisme, s’affichait maintenant au grand jour, à l’époque donc, où l’inconscient du capitalisme se déploie à ciel ouvert, qu’il n’est même plus refoulé, dénié, clivé, à cette époque de cauchemar, il faut je crois puiser dans d’autres philosophies, d’autres grilles de lectures du monde, et l’œuvre de Sara Ahmed (et plus généralement des mondes féministes/queer) me paraît d’un grand secours. N'oublions jamais, et c'est la leçon de Fanon, que le monde (ou, disons une grande partie du monde, celui des empires) a été fait pour les blancs, et mieux encore, pour la bourgeoisie capitaliste blanche - ce qu'on appelle en anglais : "the whiteness" - qu'un Trump (et bien d'autres) assume aujourd'hui sans aucun guillemet.

==>> Lire mes traductions ici :

outsiderland.com/danahilliot/i

Des nouvelles du monde (2)

On parlait de Fanon mon cher @Cinquante_et_1 à l'instant :

Figure-toi que le pouvoir algérien (cet enfoiré de Tebboune) a décidé de fermer la maison d'édition Fanz Fanon :

rfi.fr/fr/afrique/20250123-alg

Évidemment, un repaire d'opposants au régime.

RFI · Algérie: les autorités ordonnent la fermeture de la maison d'édition Frantz-Fanon pour six moisBy RFI
Continued thread

J'ajoute ici ce texte célèbre de Franz Fanon, qui lui aussi nourrit la réflexion de Sarah Ahmed élaborant une phénoménologie du racisme - à même la peau pourrait-on dire (comment les signifiants de l'homme blanc viennent redessiner les contours de l'homme noir) : cet extrait est tiré de Peau Noire, Masques blancs (1952)

« Tiens, un nègre ! » C’était un stimulus extérieur qui me chiquenaudait en passant. J’esquissai un sourire.
« Tiens, un nègre ! » C’était vrai. Je m’amusai.
« Tiens, un nègre ! » Le cercle peu à peu se resserrait. Je m’amusai ouvertement.
« Maman, regarde le nègre, j’ai peur ! » Peur ! Peur ! Voilà qu’on se mettait à me craindre. Je voulus m’amuser jusqu’à m’étouffer, mais cela m’était devenu impossible.
Je ne pouvais plus, car je savais déjà qu’existaient des légendes, des histoires, l’histoire, et surtout l’historicité, que m’avait enseignée Jaspers. Alors le schéma corporel, attaqué en plusieurs points, s’écroula, cédant la place à un schéma épidermique racial. Dans le train, il ne s’agissait plus d’une connaissance de mon corps en troisième personne, mais en triple personne. Dans le train, au lieu d’une, on me laissait deux, trois places. Déjà je ne m’amusais plus. Je ne découvrais point de coordonnées fébriles du monde. J’existais en triple : j’occupais de la place. J’allais à l’autre… et l’autre évanescent, hostile mais non opaque, transparent, absent, disparaissait. La nausée…
J’étais tout à la fois responsable de mon corps, responsable de ma race, de mes ancêtres. Je promenai sur moi un regard objectif, découvris ma noirceur, mes caractères ethniques – et me défoncèrent le tympan l’anthropophagie, l’arriération mentale, le fétichisme, les tares raciales, les négriers, et surtout, et surtout : « Y a bon banania. »
Ce jour-là, désorienté, incapable d’être dehors avec l’autre, le Blanc, qui, impitoyable, m’emprisonnait, je me portai loin de mon être-là, très loin, me constituant objet. Qu’était-ce pour moi, sinon un décollement, un arrachement, une hémorragie qui caillait du sang noir sur tout mon corps ? Pourtant, je ne voulais pas cette reconsidération, cette thématisation. Je voulais tout simplement être un homme parmi d’autres hommes. J’aurais voulu arriver lisse et jeune dans un monde nôtre et ensemble édifier."

Kwanzaa, Day 5: Nia (Purpose) = one of the most meaningful tenets that consistently haunts me.

"Nia is essentially a commitment to the collective vocation of building, developing & defending our community, its culture & history in order to regain our historical initiative & greatness as a people & add to the good & beauty in the world."

Wrote Fanon, "each generation must, out of relative obscurity, discover its mission, (and then) fulfill it or betray it."